Le vieil Ami.

Le vieil Ami.

Je suis venu te voir ce matin, il fait encore chaud sur le chemin du village, les cigales chantent encore malgré les feuilles qui roussissent lentement.

  J'étais accompagné de la petite, enfin, même du haut de ses 33 années elle sera toujours la petite de Babeth...

 On a d'abord laissé les péquélets à garder parce qu'il est des endroits qui ne sont pas pour les enfants. J'ai un peu râlé comme à mon habitude (tu me connais depuis le temps) j'avais peur d'être en retard, alors on a pressé le pas. Pour l'occasion il y avait foule comme aux beaux jours de nos mariages, enfin du tien plus que du mien, tu connais bien l'histoire de notre cérémonie qui n'en avais pas été une, la faute à cette paire de chaussures essayée avant de n'avoir été achetée!

  Et oui c'était le temps où rien n'était laissé!

  Bref je me suis permis d'entrer et de visiter un peu ta nouvelle demeure enfin, tout du moins l'Entrée. Si tu veux mon avis c'est un peu sombre au fond, mais le Soleil y a bien sa place quand les portes sont grandes ouvertes! Par contre tu as beaucoup de visites ce matin, j'espère qu'on ne te dérange pas trop, mais tu sais bien, de notre temps les Amis, ils étaient pour la vie, et pas besoin de tous ces trucs sur écrans qui te font croire que les oiseaux chantent... On se donnait rendez vous pour des veillées après souper, un coup chez les uns, un coup chez les autres, on galéjait en jouant à la belote...

   Ma Foie on n'a pas pris le temps de faire une partie de boules, ni de sortir l'apéritif, ton maitre d'Hôtel nous a dit que tu allais sans doute un peu te reposer auprès de Marguerite, alors on ne s'est pas éternisé, on ne dérange pas l'Amour qui s' Éternise...

  On a trainaillé un peu sur la terrasse là sur la place, tu sais, celle de l'Eglise, et oui un peu plus loin que le terrain de boules, bien après le café, en face la boulangerie... C'est l'occasion de retrouver des visages ridés qui parlent à d'autres visages ridés, j'ai même revu mon camarade de communion!!!

   Hé oui on a versé quelques larmes, surtout en voyant tes petites, mères à leur tour et grand mère pour l'une d'elle... Elles semblaient bien fatiguées, il faudrait que tu les ménages un peu... C'est qu'à nos âges, on leur fait du soucis...

   J'ai bien vu ma petite qui essuyait ses larmes dans mon dos, mais je tentais d'essuyer les miennes et de me souvenir du prénom de ceux qui venaient me serrer la main... C'est qu'au décès de sa mère on la trainait partout, de tous les festins, de toutes les fêtes, elle se souvient même que c'est sur tes souliers qu'elle avait dansé sa première valse... Et les courses de brouettes au milieu des hangars la nuit quand on avait bien mangé... Et nos femmes qui menaient les petites d'abrivado en bandido...

   Un Ami comme un Frère...

   Depuis que tu étais venu chercher un furet pour la chasse dont on faisait le petit élevage, c'était il y a au moins 65ans, nous n'étions alors pas tout à fait des hommes, mais plus vraiment des enfants, la guerre étant passée par là...

 Le monde a bien changé, notre travail de la terre aussi, du cheval de nos pères aux tracteurs des nouveaux, à croire qu'on ne saurait plus faire on fini par se taire...

  Moi je ne sort plus guère, mais pour venir te voir j'ai encore du courage. En partant en voyage, tu tournes une sacrée page, je te salue là haut, la bise à Maguy! Si au hasard de ton chemin tu trouvais Anna, embrasse là pour moi, elle a du retrouver Elisabeth, ma petite, ma gâtée... Dis lui que ses enfants sont beaux et qu'ils font quelques couillonnades, signes de bonnes santé. Elles leurs manquent c'est terrible, mais ils s'en sortent pas si mal... Dit aussi au Barbu si tu le croises, que la Terre tourne, que le monde change, qu'il ne doit pas prendre retraite et que ces derniers temps il a fait quelques erreurs de casting!

  Je l'attend, mais qu'il m'attende encore plus, je suis bien là, à côté des petits, sous mes arbres avec mon canapé et ma télévision toute neuve...

   A Désias mon vieil ami.